Energies marines, l’hydrolien tarde à se mettre en place

Dans Éolienne, Hydraulique par le 20 mars 20135 Commentaires

Après avoir dû se contenter de jouer les seconds rôles dans l’émergence du solaire et de l’éolien, la France va-t-elle réussir à s’imposer comme un acteur majeur des énergies de la mer ? Une étape décisive aurait dû être franchie fin 2012, avec le projet « énergies marines » porté par l’Ifremer qui attend que le gouvernement fixe un cadre et une stratégie pour que des investissements d’avenir et une filaire industrielle voient le jour. La France percera t-elle sur le marché de l’hydrolien ?

Énergies marines : marchés, projets, place de la France…

En dehors de l’éolien offshore, qui adapte au milieu marin les technologies de l’éolien terrestre, et de l’énergie marémotrice, les énergies marines sortent à peine des laboratoires et n’arriveront pas à maturité, selon les experts, avant une dizaine d’années au mieux. Après l’éolien offshore posé, seul procédé actuellement commercialisé dans les énergies marines renouvelables [EMR], l’hydrolien est la technologie la plus mature, devant l’éolien flottant, le houlomoteur [l’énergie de la houle] et l’énergie thermique des mers.

Il s’agit donc aujourd’hui de faire émerger les technologies qui permettront d’exploiter l’énergie des courants, des marées ou des vagues, ou encore les différentiels de températures ou de salinité.
Selon une étude prospective publiée par l’Ifremer en 2007, les énergies marines pourraient commencer à peser d’ici à 2020 dans le « mix » énergétique français et contribuer à atteindre l’objectif de 23 % d’électricité d’origine renouvelable dans la consommation française.

« La France, deuxième potentiel Européen en matière d’énergie hydrolienne (après le Royaume-Uni), a une place de leader à prendre, affirme Mme Batho. Encore faudrait-il que les pouvoirs publics soutiennent clairement la filière, qu’ils respectent le calendrier nécessaire au déploiement de la filière (la ministre s’y est engagée le 25 février à Cherbourg). Enfin et surtout, un prix de rachat de l’électricité produite par ces hydroliennes doit être fixé et tenu pour ne pas reproduire les erreurs qui ont plongé la filière photovoltaïque dans un marasme économique incroyable.

Quant au  marché mondial des turbines sous-marines, il représenterait entre 70 et 100 milliards d’euros à l’horizon 2030. Reste à  en confirmer la viabilité. Une dizaine de fabricants de turbines dans le monde – dont trois groupes français – sont impatients d’en découdre pour se faire une place sur ce marché à venir.  Ainsi, Alstom (Renewable Power) vient de racheter Tidal Generation Ltd à Rolls-Royce et peut se targuer, avec ce concepteur d’hydroliennes, d’avoir produit sur le réseau électrique de  l’énergie à partir d’une turbine immergée, même si la technologie n’est qu’au stade du développement. Tous ces industriels ont besoin de tester leurs technologies sur des sites grandeur nature. Il faudra donc passer par la case d’une ferme pilote, avec quelques machines, pour tester notamment les effets de sillage et la connexion au réseau.

Tout le monde s’accorde à le dire : « C’est maintenant que ça se passe, et il ne faut pas rater le coche. » Malheureusement, la ministre de l’écologie n’a pas annoncé l’appel à projet (tant attendu)  qui devrait stimuler, dans un premier temps, la recherche, et, dans un second, l’installation de « fermes pilotes » d’hydroliennes immergées en pleine mer.

  • Projet Sabella
Projet Sabella
Projet d’hydrolienne émergée par Sabella

Plusieurs projets ont déjà bénéficié d’une aide de l’Etat au titre des investissements d’avenir. Notamment celui de l’entreprise brestoise Sabella, déjà pionnière dans le domaine des énergies de la mer, elle avait prévu d’immerger au large d’Ouessant en 2012  une hydrolienne devant couvrir un quart de l’électricité consommé sur lîle.
Pendant des tests en rade de Brest, un treuil chargé de monter et descendre leur hydrolienne expérimentale de 1 000 tonnes, est tombé en panne. Depuis, la turbine gît au fond de la rade. Une opération de récupération pourrait être menée courant mars.

  • Projet Cotes Armor
Projet Cotes Armor
Projet hydrolien dans les Cotes d’Armor à l’arrêt

Le projet le plus avancé à ce jour, mené par EDF dans les Côtes-d’Armor, doit franchir une étape importante cet été : début septembre, une hydrolienne de 16 m d’envergure sera immergée à quinze kilomètres au large de Paimpol pour y être testée pendant deux mois.
EDF devait installer en 2012, sur le même site, une ferme de quatre hydroliennes raccordées au réseau électrique mais le calendrier prévu n’a pas été respecté. Cyril Abonnel, responsable du projet EDF, reste optimiste et pense qu’après des années d’études, nous entrons enfin dans une phase de concrétisation.

  • Projet Cotes Seeneoh
Projet Cotes Seeneoh
Seeneoh : Site Expérimental Estuarien National pour l’Essais et l’Optimisation d’Hydroliennes

En 2006, deux ex-étudiants bordelais en océanographie se sont mis en tête de développer un site expérimental sur la Garonne, pour tester des prototypes d’hydroliennes d’estuaire, de fleuve ou de pleine mer. Depuis, les deux ingénieurs ont monté un bureau d’études spécialisé dans les énergies marines renouvelables, et affinent leur projet baptisé Seeneoh.
« L’objectif est de permettre aux industriels des grands groupes, mais surtout aux PME, de tester leur prototype dans un milieu naturel proche des conditions de pleine mer, mais moins coûteux à installer et à faire fonctionner », explique Marc Lafosse, président du bureau d’études. Aucun site expérimental en estuaire n’existe à ce jour dans le monde !

Seeneoh s’intègre dans une filière industrielle naissante autour des énergies marines. Après le Grenelle de la mer, en 2009, un institut national de recherche coordonné par l’Ifremer (l’organisme public de recherche pour l’exploitation de la mer) a été retenu, en mars 2011, dans le cadre du Grand Emprunt. Ce groupement d’intérêt public basé à Brest, appelé France énergies marines, dispose de 133 millions d’euros sur dix ans et de cinq sites d’essais dont celui de Bordeaux.

« Seeneoh va permettre des retours d’expériences pour l’ensemble de la filière », assure son directeur général, Yann-Hervé De Roeck.
Maintenant, il faut espérer la mise en place d’une vraie politique industrielle.  Sinon, comme pour l’éolien et le photovoltaïque, la France va se faire doubler par la concurrence étrangère.

Impact écologique de l’hydrolien

  • La faune marine

Que se passerait-il s’il venait à l’idée d’une orque de passer la tête entre deux pales d’hydrolienne ? Hypothèse pas si saugrenue que cela, depuis que la société irlandaise OpenHydro a immergé deux hydroliennes expérimentales dans le Puget Sound. Ce bras de l’océan Pacifique situé dans l’Etat de Washington accueille plusieurs colonies d’orques.

Avant qu’OpenHydro n’obtienne son autorisation, les chercheurs du Pacific Northwest National Laboratory (PNNL) ont été chargé de répondre à la question. Leurs conclusions ont rassuré les défenseurs de l’environnement : étant donné la vitesse de rotation de l’hydrolienne et la résistance des orques aux chocs, les mammifères marins s’en tireraient – au pire – avec une belle frayeur.

D’après les biologistes anglais, l’hydrolienne nuit à certaines espèces de la vie sous marine. Quelques petits poissons auraient du mal à nager à cause des turbulences ce qui les obligerait à fournir des efforts considérables. Les hydroliennes pourraient aussi précipiter dans leurs pales d’autres animaux de petite taille qui ne sont pas en mesure de résister à l’aspiration créée par l’hydrolienne. De plus l’hydrolienne est une pièce étrangère rapportée dans le monde marin, elle engendre donc de nouvelles conditions environnementales susceptibles d’attirer certains poissons ou d’en faire fuir d’autres. L’équilibre du monde sous-marin risque d’être perturbé à d’autres endroits qu’ils délaissent.
D’après certains scientifiques, les hydroliennes sont la cause d’une nuisance sonore car la rotation des pales produit un bruit qui rayonne sous l’eau. Cependant cette nuisance serait inexistante selon d’autres scientifiques qui n’ont pas relevé d’impacts lors de leurs recherches.

Résultat que l’on doit prendre avec la plus grande réserve car les études d’impact doivent être menée sur chaque site et non pas d’un point de vu général. Enfin l’étude a été commandée par OpenHydro et porte sur une seule hydrolienne. On imagine aisément que dans le cas d’une ferme avec 10, 20 ou 30 hydroliennes, les résultats seraient bien différents.

  • La pollution visuelle

La filiale d’EDF estime que les fermes de grande dimension devront se doter de plates-formes de transformation du courant, ce qui minimisera le nombre de raccordements  fermes/terre, et réduira l’impact visuel.

Les contraintes techniques

Elles sont nombreuses bien sure comme tout projet de cet envergure.

  • Le raccordement

Le principal challenge à relever est le raccordement de ces futures fermes au réseau public d’électricité. Schématiquement, il faut tirer un câble et le brancher. Où, comment et à quel prix, sont les questions à résoudre.
Le Réseau de transport d’électricité (RTE), filiale d’EDF, a rendu publique, vendredi 1er février 2013, une étude prospective que lui avait commandée le précédent gouvernement sur le raccordement au réseau électrique des futures fermes d’hydroliennes, qui transforment l’énergie des courants marins en électricité.
Elle met en avant les écueils attendant ces installations, qui pourront compter chacune – en phase commerciale, c’est-à-dire pas avant la fin de la décennie – jusqu’à une centaine d’hydroliennes immergées.
RTE affirme ainsi n’avoir « identifié que quelques zones restreintes propices » à l’arrivée à terre des câbles sous-marins et à leur raccordement au réseau électrique terrestre, en raison de la topographie du littoral et de l’existence de zones protégées dans les régions où se concentre l’essentiel du potentiel hydrolien français : le raz Blanchard, au large du Cotentin, et le passage du Fromveur, près d’Ouessant.
Hervé Mignon, directeur de la prospective à la RTE, insiste sur la nécessité « de prendre en compte le plus en amont possible la question du raccordement », celui-ci nécessitant un délai « de six à sept ans » pour le réseau à très haute tension (THT). Au-delà, « le renforcement du réseau terrestre sera nécessaire », prévient la RTE.
Si vous lisez entre les lignes, cela veut dire qu’il va falloir faire de gros travaux sur les lignes EDF et que les français vont surement devoir encore mettre la main à la poche !

  • Les lieux possibles en France

Les deux « spots » français sont connus : le raz Blanchard, qui passe entre le cap de la Hague (Manche) et l’île anglo-normande d’Aurigny, et le passage du Fromveur, entre l’archipel de Molène et l’île d’Ouessant (Finistère). DCNS, qui vient d’investir 130 millions d’euros pour prendre le contrôle de l’irlandais OpenHydro, s’est associé à EDF et espère installer dans le raz Blanchard une ferme pilote de sept machines.
C’est également une des zones retenues par GDF-Suez. Associé à l’allemand Voith Hydro et au constructeur naval tricolore CMN, l’énergéticien ambitionne d’y installer d’ici à 2016 un parc pilote de trois à six turbines, pour un investissement de 20 à 30 millions d’euros. GDF-Suez développe aussi un projet avec la start-up française Sabella dans le passage du Fromveur.

Conclusion

L’hydrolien en France et dans le reste du monde n’en est qu’a ses balbutiements car les technologies sont longues et couteuses à mettre en place. Si la France n’en est qu’à ses premiers tests, les acteurs publics doivent rapidement donner un feu vert pour que les industriels français comme EDF ou Alstom, puissent passer à la phase de pré-commercialisation de l'hydrolien à travers des parcs pilotes. Cette étape est importante pour confirmer la viabilité technologique et économique des projets. Les pouvoirs publics doivent aussi définir le cadre dans lequel toute la filière pourra travailler en confirmant les zones de tests et en élaborant un mécanisme financier plus incitatif. Delphine Batho (la ministre actuelle de l’Ecologie et du développement durable) s'est engagée à ce que le tarif de rachat de l'électricité qui sera produite par des hydroliennes soit fixé et connu avant le mois de juin. Espérons que ces décisions viendront vite sinon la France se fera encore doublé par ses concurrents européens comme çà a été souvent le cas ces dernières années dans le secteur des énergies renouvelables. Affaire à suivre…

Merci à :
Rob Stevenson, Vice-président d’Alstom pour les Energies Marines
https://www.alstom.com

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