L’expédition Swigs va étudier la régulation climatique par les océans

Dans Climat & Météto par le 15 janvier 2021Commentaires fermés sur L’expédition Swigs va étudier la régulation climatique par les océans

Une équipe coordonnée par deux chercheurs du CNRS (Catherine Jeandel, Hélène Planquette) et impliquant des collègues de l’Université de la Sorbonne, de l’Université Toulouse III-Paul Sabatier, de l’Université de Bretagne occidentale et de l’Université Aix-Marseille, s’est élancée le 11 janvier pour une traversée de l’océan Austral, à bord du Marion Dufresne II, navire de recherche affrété par la flotte océanographique française. Leur objectif est de mieux comprendre la séquestration du CO2 atmosphérique dans l’océan, et surtout comment les éléments chimiques essentiels à ce stockage sont fournis, transportés et transformés par l’océan.

Le rôle clé des océans dans la capture du CO2

L’océan Austral joue un rôle clé, mais complexe, dans la capture et le stockage du CO2 atmosphérique. Un large éventail de facteurs doit être pris en compte, notamment l’activité biologique (photosynthèse de surface, exportation de carbone vers l’océan profond et sa séquestration dans les sédiments) et la circulation océanique.

La campagne océanographique SWINGS, lancée le 11 janvier et impliquant 48 scientifiques, fait partie du programme international GEOTRACES, qui construit depuis 2010 un atlas chimique des océans, compilant des données décrivant les cycles biogéochimiques de ces oligo-éléments et de leurs isotopes dans les océans du monde. Les données sont acquises selon des protocoles très stricts, comparées et validées entre les différents pays, et mises à disposition dans une base de données ouverte.

Deux mois en mer pour explorer la contribution de l’océan Austral à la régulation climatique

C’est la première fois qu’une étude marine aussi complète est menée dans l’océan Austral. Son objectif est de déterminer les sources (atmosphériques, sédimentaires, hydrothermales, etc.) de ces éléments, dont certains (fer et zinc par exemple) jouent un rôle crucial dans l’activité photosynthétique du phytoplancton.

L’océan : régulateur et victime du réchauffement climatique !

Les eaux marines absorbent presque un tiers du CO2 émis par la combustion des énergies fossiles. Les eaux australes absorbent environ 15 % des émissions de CO2 produites par les activités humaines. Elles sont donc les actrices principales de la régulation de la concentration des gaz à effet de serre, et donc du climat. Mais elles sont aussi victimes de ce phénomène planétaire : un excès de CO2 dissous les rend plus acides et cela perturbe le développement des micro-organismes en surface. Le plancton, la source de toute la vie marine, est impacté.

Les abysses de l’océan n’échapperont pas non plus à l’équipe scientifique. L’étude des sédiments déposés à la surface du fond de l’océan après avoir été transportés par les vents et les fleuves sera également au cœur des recherches scientifiques à bord. Les sédiments sont un mélange de particules (celles d’origine biologique, mortes et partiellement dégradées mais aussi des poussières, des particules fluviales, etc.) apportées depuis les continents par érosion.

Déposé sur les fonds, ce mélange est susceptible de libérer des éléments chimiques vers la mer. Comme l’explique Catherine Jeandel, une des deux chercheuses responsables du projet « On se focalisera sur les prélèvements de sédiments sur l'interface avec l'eau (le fond), en privilégiant ceux de surface. On fera ces carottages le long de la côte sud-africaine, autour des îles Marion, Crozet, Kerguelen et quelques-uns dans les zones les plus profondes  ». Ces carottages seront complétés par des échantillonnages ciblés sur les particules remises en suspension, qui seront collectées par des pompes in-situ.

Le fer est l’une des vitamines de l’océan

Hélène Planquette traque les poussières de fer dans l’océan. La chercheuse brestoise de 42 ans co-dirige la campagne océanographique Swings. Et aura pour mission de coordonner les travaux de 48 scientifiques dans l’océan Austral.

Quatre ans de travail, et forcément un peu de stress à l’approche du départ dans ce contexte de pandémie mondiale : « Bien sûr, cela conditionne la mission océanographique. Chacun d’entre nous effectue un test sérologique et des tests PCR. Le moindre cas à bord peut faire annuler la mission. »

Pour autant, la chercheuse de 42 ans garde le sourire et… un calme impressionnant : « Jusqu’ici, tout s’est très bien déroulé, parfois même sur le fil ! Notre réunion de pré-campagne a eu lieu in extremis avant le premier confinement : les 12 et 13 mars 2020 ! »

Fabien Perault, de l’Institut national des sciences de l’univers (Insu), et Hélène Planquette, devant les deux rosettes pouvant supporter chacune 24 bouteilles de 12 litres. | OUEST-FRANCE copyright

Le fer est l’une des vitamines de l’océan, nécessaire au phytoplancton pour effectuer la photosynthèse, pour transporter l’oxygène au sein de la cellule phytoplanctonique

explique la chercheuse

Or, pour faire cette photosynthèse, le phytoplancton a besoin de nutritifs (silicates, phosphates, nitrates, etc.) et aussi d’éléments présents à de très faibles concentrations dans l’océan, comme le fer, le cobalt, le manganèse, le zinc, le cuivre, le nickel, ce que l’on appelle les éléments traces.

Ensemencer l’océan en fer ?

Dans les années 70, John Martin émet l’hypothèse « de fertiliser les zones de l’océan peu riches en fer, comme l’océan Austral ou le Pacifique nord. Il a en effet observé que ces zones sont riches en nutritifs mais que l’absence de fer est un facteur limitant à la photosynthèse », explique la chercheuse brestoise.

Controversée, l’idée a été abandonnée après plusieurs expériences de fertilisation naturelle menées dans les années 1990 et 2000. Des tonnes de sulfate de fer ont été versées dans l’océan, pour augmenter la séquestration du carbone (et du fameux CO2). Seulement, cela a libéré d’autres gaz à effet de serre (comme le Diméthylsulfure, ou DMS) et a modifié la chaîne alimentaire.

Plusieurs programmes scientifiques

En plus des scientifiques de SWINGS, une équipe de l’OISO (Indian Ocean Observation Service), qui évalue la part de CO2 des émissions anthropiques et l’acidification des océans qui en résulte, embarquera sur le Marion Dufresne II pendant la croisière. Un autre programme de surveillance des données temporelles, THEMISTO, étudiera les écosystèmes de haute mer-. Enfin, le troisième projet MAP-IO utilisera le Marion Dufresne II pour réaliser, entre autres, des mesures physiques de la distribution des aérosols et des gaz traces. Avec ces trois projets complétant les objectifs de SWINGS, la coopération scientifique est au cœur de la nouvelle croisière.

ajoutez cet article a votre liste de favoris
A propos de cet auteur...

Les commentaires ne sont pas autorisés.