Économie circulaire & supply chain : du pilote à l’échelle

Dans A LA UNE, Finances & Economie par le 31 octobre 2025Pas de commentaire

L’économie circulaire ne se limite plus à la conception de produits durables : elle redéfinit la chaîne logistique dans son ensemble. D’après la Commission européenne (2025), la supply chain représente jusqu’à 80 % des impacts environnementaux d’un produit sur son cycle de vie. Passer d’un projet pilote à un modèle industriel demande de repenser la conception, la traçabilité, la logistique inverse et les modèles économiques. Selon l’Ellen MacArthur Foundation (EMF, 2024), l’intégration de la circularité dans la supply chain pourrait réduire les émissions industrielles de 45 % d’ici 2030. Ce changement structurel ne relève pas seulement de la technologie : il repose sur la gouvernance, la donnée et la coopération entre acteurs.

Pourquoi la supply chain est le cœur de la circularité

La supply chain concentre la majorité des flux physiques, des coûts et des émissions. Selon l’Agence européenne pour l’environnement (EEA, 2024), plus de 70 % de l’empreinte matière de l’UE provient des chaînes d’approvisionnement globalisées. Mettre en œuvre la circularité revient donc à repenser la conception des flux : du sourcing à la logistique retour. Les entreprises pionnières (IKEA, Schneider Electric, Decathlon) testent des approches basées sur la réutilisation, le reconditionnement et le recyclage localisé. Leur objectif : découpler la création de valeur de la consommation de ressources primaires.

Leviers techniques et organisationnels

Trois leviers principaux émergent :

  1. Éco-conception et modularité : faciliter la réparation et le démontage, allonger la durée de vie, favoriser le réemploi des composants.
  2. Traçabilité numérique : grâce aux passeports produits européens (prévu par la réglementation PPWR 2025), chaque composant pourra être suivi sur toute sa vie.
  3. Reverse logistics : développer des hubs de retour et des plateformes locales de tri et reconditionnement. Selon EMF (2024), 60 % des projets pilotes échouent faute de logistique inverse efficace.

À ces leviers s’ajoutent la normalisation des données (GS1, blockchain, IoT) et la formation des acteurs. Les grands distributeurs expérimentent déjà des systèmes de consigne connectée et de gestion du retour en temps réel.

Les KPIs et la mesure de performance

  • Le pilotage de la circularité exige des indicateurs clairs et partagés. Selon l’EEA (2024), moins de 30 % des entreprises européennes disposent d’un tableau de bord circulaire consolidé. Les KPIs clés incluent :
  • CMUR (Circular Material Use Rate) — taux d’incorporation de matières secondaires.
  • % de produits réparés ou reconditionnés.
  • Taux de retour logistique et délai moyen de boucle.
  • Intensité carbone par unité réemployée.
  • Marge sur produits de seconde vie.
  • Des plateformes comme Circulytics (EMF) ou Material Circularity Indicator (MCI) aident les entreprises à quantifier leurs progrès. La future directive CSRD impose d’ailleurs un reporting sur la circularité dès 2026 pour les grandes entreprises.

Études de cas et retours d’expérience

Plusieurs entreprises montrent qu’une approche systémique est possible. IKEA a mis en place un service de rachat et revente de meubles reconditionnés, avec un taux de satisfaction client supérieur à 85 % (Rapport IKEA 2024). Schneider Electric a développé un programme de réutilisation de composants industriels (circuits, disjoncteurs) via ses usines de Grenoble et Varsovie, réduisant de 65 % les déchets électroniques en 3 ans. Dans le BTP, Bouygues Construction expérimente des plateformes locales de réemploi de béton concassé et de métal trié, soutenues par l’ADEME. Ces cas illustrent la faisabilité technique et économique de la circularité à grande échelle.

Gouvernance, achats et modèle économique

La gouvernance est le catalyseur du passage à l’échelle. Selon EMF (2024), 70 % des entreprises qui réussissent leur transition circulaire ont intégré des objectifs RSE dans les contrats d’achat. Les achats circulaires reposent sur des critères de durabilité, de réparabilité et de taux de matière recyclée. L’économie circulaire ne s’oppose pas à la rentabilité : elle crée de nouveaux modèles, comme la vente de service (product-as-a-service), les contrats de performance matière, ou la location longue durée de biens industriels. Le digital (traçabilité, maintenance prédictive, IA) devient un outil de pilotage stratégique.

Encadré pratique : 5 KPIs concrets pour mesurer la circularité

  1. Taux de circularité matière (CMUR) : pourcentage de matières secondaires utilisées.
  2. Durée moyenne de vie produit : mesure de l’allongement grâce à la réparation.
  3. Retour logistique (% des produits repris) : suivi de la reverse logistics.
  4. Marge brute seconde vie : performance économique de la circularité.
  5. Émissions évitées (tCO₂) : calcul des gains carbone liés à la circularité.

Ces indicateurs, recommandés par l’EEA et EMF (2024), constituent la base du reporting circulaire européen.

Passer du pilote à l’échelle en économie circulaire demande de repenser la chaîne de valeur complète. La clé du succès réside dans la donnée, la collaboration intersectorielle et la création d’incitations économiques. Les entreprises qui alignent stratégie, indicateurs et supply chain capturent déjà un avantage compétitif tangible. D’ici 2030, la circularité ne sera plus un projet RSE, mais un levier central de compétitivité et de résilience industrielle.
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